Interview d'Enrique Fiestas, comédien et voix-off professionnel

Posted by Léa Rousseau on 7 août 2020 11:08:00
Léa Rousseau

Enrique fiestas - Photo de profil

Comédien depuis plus de 30 ans, Voix-off, metteur en scène, codirigeant de la Compagnie de théâtre "Confidences", Enrique Fiestas nous parle de son expérience et nous donne des conseils relatifs au domaine de la voix.

 

Comment êtes-vous devenu comédien-voix ?

Au début des années 90, je faisais partie d'une compagnie de théâtre dont l'objectif était d'adapter en français et de porter à la scène des textes d'auteurs espagnols, ma langue maternelle. Parmi les acteurs de cette compagnie se trouvait un gars très sympa, Diego Asensio. Nous nous sommes très vite liés d'une amitié qui durant toutes ces années n'a pas pris une seule ride. Malheureusement en ce qui nous concerne tous les deux, ce n'est pas le cas !

Bref, c’est lui qui m’a donné le premier contact pour l’enregistrement d’un audioguide à Paris. Lors de cette première expérience, je me souviens que j'avais été dirigé par un type assez désagréable qui, de surplus, m'avait prédit un avenir désastreux dans le domaine de la voix. Raté ! Plus tard, Diego m'a conseillé de contacter l'agence VOICES dirigée par Michèle Marshall. C’est ce que j’ai fait et là, ça a très bien fonctionné ! En 20 ans, grâce à Michèle et à sa formidable équipe féminine, j'ai travaillé dans plus de 1000 enregistrements. Si je compte toutes mes prestations voix, tous employeurs confondus, en 30 ans d'activité professionnelle, je ne dois pas être loin de 3000.

 

Au-delà du talent, que faut-il pour travailler dans ce secteur ?

Dans notre métier il faut savoir travailler vite, ne pas traîner, ne pas bafouiller à chaque phrase. Comprendre le sens du texte, écouter les indications du directeur artistique ou parfois du client, être souple pour s'adapter à toutes sortes de produits (institutionnel, publicitaire, technique, littéraire, documentaire, joué, etc.). Bien sûr, on arrive à maîtriser tout ça grâce à un travail d'entraînement et à l'expérience acquise au fur et à mesure qu'on réalise des enregistrements. Mais si on n'est pas curieux, si on n'aime pas lire, il est plus difficile de faire des progrès. 

Il est essentiel de bien connaître sa propre langue, l'espagnol dans mon cas, car il n'est pas rare que les traductions ne soient pas très bonnes. D’ailleurs, il arrive de temps en temps qu'on me demande de faire la traduction et/ou l'adaptation des textes à enregistrer, et ça c'est quelque chose que j'apprécie. 

Enfin, il est très important de se cultiver, d'être exigeant avec soi-même afin que le produit final soit de la meilleure qualité possible. Et bien entendu, lorsqu’on a une formation d'acteur, ce qui n'est pas toujours le cas des les personnes qui travaillent avec leur voix, c'est encore un bon point. 

Quant au doublage, pour moi c’est un travail assez ludique, qui demande néanmoins beaucoup de concentration. Je double ou je fais de la post synchro en français et en espagnol depuis de nombreuses années. J'adore ça ! Il est indispensable de bien se familiariser avec la technique de la bande rythmo ; mais également de s'entraîner systématiquement à la lecture pour acquérir de la vitesse et avoir un débit fluide. Ça aide sans aucun doute à mieux se concentrer sur le jeu et sur les intentions des personnages. 

Dernière chose : il ne faut pas oublier d'être aimable avec toute l’équipe du studio !

 

Qu'est-ce qui vous a le plus aidé à devenir comédien ?

Ce que j’aime le plus faire dans la vie et ce que je fais de mieux, c'est mon métier de comédien. Alors, ça aide ! J'ai travaillé avec des personnes très différentes, avec plusieurs compagnies qui touchaient à divers domaines, y compris le théâtre de rue et le théâtre d'entreprise. 

Ma relation avec le théâtre a débuté lors de mes études de médecine, en Espagne, dans un groupe de théâtre universitaire. A mon arrivée à Paris au début des années 80, j'ai travaillé comme ou interne dans un hôpital, puis j’ai étudié l'homéopathie. En parallèle j’ai effectué des traductions pour des entreprises pharmacologiques. Petit à petit dans mon cercle d’amis il y avait de plus en plus d’artistes et je me suis rapproché de cet univers. J’ai fini par laisser tomber la médecine. 

Il est également important pour un comédien ou une comédienne de savoir nouer des relations dans le métier, de faire les bonnes rencontres, de tomber sur le bon agent, les bons directeurs de casting tout en continuant à se former en effectuant des stages par exemple.

En France, le statut d’intermittent aide beaucoup les artistes, il y a aussi pas mal de festivals qui permettent la diffusion de projets et enfin les différentes subventions favorisent la création.

J'ai très peu travaillé au cinéma et à la télévision, uniquement dans de petits rôles. Alors que je commençais à me lancer dans ce domaine, il y a 10 ans, un problème de santé m'a empêché de tourner, car les tournages sont physiquement très durs ; en revanche il ne m'a pas empêché de faire du théâtre ni des tournées. Actuellement, je vais mieux et vais essayer de relancer tout ça, de nouer des contacts en Espagne. Dans notre métier on peut rebondir, il faut rester combatif, mais il est vrai que c'est plus compliqué pour les femmes.

 

Comment gérez-vous le stress et la pression ?

Si je me trouve dans une mauvaise passe, j'essaie d'abord de me concentrer sur ma respiration, de bien m'ancrer au sol pour retrouver un bon équilibre et reprendre confiance en moi. J'évite tout ce qui est négatif : me mettre en colère, me montrer désagréable, etc. Quand il faut y aller, il faut y aller ! Pas vrai ? 

Parfois, au cours d'un enregistrement difficile, il peut être bon de prendre quelques minutes pour se détendre, pour se vider l’esprit et éloigner les mauvaises ondes afin de retrouver confiance et sécurité. Si on apprend à rester calme, alors on finira par retomber sur ses pattes comme un chat. Je n'aime pas les crises d'hystérie parce qu'elles dévorent inutilement notre énergie positive. 

Les acteurs et les actrices sont des êtres fragiles.  Je ne dirige jamais personne avec brutalité et je n'aime pas non plus qu'on le fasse avec moi, c'est très déstabilisant et ça ne mène à rien de bon.

 

Enrique fiestas - Photo 1

 

Comment développez-vous une voix pour un personnage ou un projet ?

C’est quelque chose de très intuitif et, bien sûr, l’expérience compte pour beaucoup. Il existe déjà certaines règles de base qui s’appliquent en fonction du type de film, de son domaine de diffusion ou du public auquel on s’adresse. Dès le début, je visualise le film pour en avoir une idée globale. J'attends les indications du client et/ou du responsable de la direction artistique. Je les écoute attentivement pour savoir ce qu'ils veulent et, si je le considère opportun, je leur offre mon avis pour essayer de parvenir à une synthèse. Ensuite, après les premiers tests face au micro, une fois que nous avons trouvé la voix, le rythme et le ton appropriés, la route est généralement facile et agréable.

 

Quel projet voix a été le plus amusant dans votre carrière ?

Il est presque impossible de citer un projet en particulier : J'ai eu beaucoup de plaisir à doubler de bons acteurs, dans des séries comme : WeedsNarcosBreaking BadThe son... pour n’en citer que quelques-unes. Il a également été très plaisant faire des publicités pour DisneyChanelFuturoscopePulco, etc ; très enrichissant de prêter ma voix à des audioguides que j'avais moi-même adaptés en espagnol, pour des expositions au Musée du Luxembourg, de l’Orangerie, ou du Château de Versailles par exemple. Et également d’être narrateur de dizaines de merveilleux documentaires historiques, scientifiques, animaliers, ou sur la nature. 

J’aime bien quand on me demande dans des jeux vidéo de jouer des personnages différents, avec des voix différentes, j’aime aussi participer à des méthodes de langues, des dessins animés ou d'autres projets où il faut chanter, par exemple. En général, c'est plus amusant quand on travaille en équipe, avec des collègues, ça c'est vraiment formidable !

 

Que recommanderiez-vous à un débutant ?

Il me semble évident qu’il faut commencer par avoir de bonnes démos de sa voix qu’on puisse diffuser dans les réseaux et les sites spécialisés. Je conseille d’avoir un agent, en particulier au début. Moi, ça m’a beaucoup aidé ! Quand j’ai démarré dans les années 90, il n’y avait pas tellement de concurrence, mais maintenant... c’est autre chose, surtout avec l’arrivée des home-studios. 

En ce qui concerne le doublage, je pense qu’il n’est pas mauvais de participer à des stages, car cela permet de se familiariser avec la technique et d’établir des contacts intéressants - même si personnellement je n’y ai pas eu recours, j’ai appris sur le terrain. Quoi qu’il en soit, il est très utile de s’entraîner chaque jour, au moins une demi-heure, à faire de la lecture à haute voix pour bien articuler et acquérir de la vitesse tout en gardant une bonne diction. 

On peut aussi tâcher d’assister à des doublages et essayer d’auditionner pour des ambiances ou des petits rôles au début, mais il est vrai qu’aujourd’hui c’est quasiment impossible à cause des contrôles très stricts à l’entrée. Et pourquoi pas écrire ou appeler les directeurs de plateau, leur envoyer son CV, utiliser ses contacts ? Bref, Il faut être très patient et persévérant, c’est certain ! Et le jour où ils vous donnent enfin une chance, vous devez être à la hauteur, ou du moins ne pas merder ! 

 

Des cours, formations, livres ou programmes à recommander ?

Ceux qui se consacrent à la musique, à la danse ou à un tout autre type d’art doivent veiller durant toute leur carrière à se perfectionner. Cela doit aussi s'appliquer aux comédiens et comédiennes. On peut suivre des trainings pour professionnels, faire des stages, suivre des formations. Il faut, bien sûr, avoir à la base une formation (cours d’art dramatique, conservatoire, etc.) 

Mais à part ça, les acteurs et actrices, nous nous nourrissons, au sens artistique du terme, de tout ce qui nous entoure, même des plus infimes détails pouvant paraître insignifiants. Nous sommes très omnivores, comme les écrivains et les chasseurs d'images. L'observation et la curiosité nous fournissent les briques pour ériger notre tour de création personnelle ainsi que pour insuffler la vie aux personnages que nous aurons à incarner. 

Je ne recommande rien en particulier car je recommande tout. Tout ce qui nous entoure sert à nourrir la création, et si je me proposais de dresser une liste d’œuvres qui m’ont aidé à me construire depuis mon enfance, celle-ci serait sans doute à la fois trop longue et incomplète. Mais, je suis convaincu que connaître le théâtre de Shakespeare et d'Anton Tchekhov constitue une base fondamentale pour tous les comédiens. D'autre part, je recommande la lecture de "VOIX OFF" de Denis Podalydès, un comédien qui représente pour moi un exemple à suivre.

 

Avez-vous des projets ou des souhaits prévus dans un avenir proche?

Je vais d’une part me concentrer dans l’écriture d’une pièce qui est presque terminée et d’autre part veiller à remettre sur pied une autre pièce montée avec ma Compagnie et dont les représentations ont été brutalement interrompues lorsque tous les théâtres ont dû baisser le rideau au mois de mars.

 

Enrique fiestas - Photo 2

 

Retrouvez Enrique Fiestas, sa voix et son expérience sur sa page Voxing Pro.

 

Topics: Comédiens, Interviews

Le blog des professionnels de la voix

Ce n’est un secret pour personne, l’industrie audiovisuelle bouge de plus en plus vite.

Les projets s’enchaînent, et le temps vous manque pour organiser castings, bookings et séances d’enregistrement.

Ou au contraire, vous peinez à trouver les projets qui vous correspondent.

 

Conseils, interviews, articles sur le métier... Notre contenu trouvera ses adeptes parmi les :

  • comédiens de doublage et voix-off
  • producteurs et directeurs artistiques audiovisuels
  • agents voix

 

N'hésitez pas à vous abonner ci-dessous pour recevoir les derniers articles du blog !

Articles les plus populaires